Après le Covid : moins d’attention, plus d’égoïsme ?

Et si la plus grande cicatrice du Covid n’était pas sanitaire, mais sociale ? La pandémie n’a pas seulement bousculé nos emplois du temps et nos habitudes de travail, elle a creusé une faille dans notre manière de vivre ensemble.

Dans cet article, parcourons les conséquences durables et émotionnelles de la crise sanitaire, ainsi que des pistes concrètes pour retisser du lien.

De « prenez soin de vous » à « chacun pour soi »

La solidarité de circonstance affichée en mars 2020 s’est diluée dans un climat de méfiance latente. Ainsi, ce qui ressemblait à une prise de conscience globale s’est transformé en repli émotionnel.

Le triomphe du clanisme émotionnel

« Sauvez des vies, restez chez vous » : derrière ce slogan, c’est une responsabilité centrée sur soi et son entourage immédiat qui s’impose. Bien qu’efficaces sur le plan sanitaire, les messages institutionnels ont contribué à une logique d’individualisation du risque.

La menace virale, invisible et omniprésente, a poussé chacun à se réfugier vers un noyau restreint : famille proche, cercle amical et communauté de voisinage bien connue.

Ce réflexe de précaution sociale traduit un besoin de contrôle dans un monde devenu incertain. D’ailleurs, un indicateur en dit long : dès la première semaine de confinement, 26,7 % des Français déclaraient souffrir d’anxiété, soit presque le double du taux observé en 2017 (13,5 %).

Ce recentrage sur le « clan sûr » s’est traduit dans les faits avec, notamment, des déménagements massifs vers les campagnes pour se rapprocher de sa famille et l’explosion de groupes de soutien locaux sur Facebook.

À mesure que le sentiment de danger se prolongeait, le seuil de tolérance à l’altérité s’effondrait. Dans certaines villes, des comportements de délation ont même émergé à l’encontre de voisins jugés imprudents.

 

La désintégration du ciment social

En parallèle, les gestes barrière ont redéfini les codes de la civilité. La poignée de main disparaît, le sourire masqué s’estompe, alors que l’évitement physique devient réflexe.

Dans une interview donnée dans le journal Le Monde, la philosophe Cynthia Fleury parle d’un effacement progressif du commun, alors qu’il faudrait « construire un comportement collectif respectueux de l’état de droit ».

Ce glissement se lit dans les sondages. D’après le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF, paru en 2023, 67 % des Français considèrent que « les gens comme eux ont des conditions de vie de moins en moins bonnes », tandis que 58 % estiment ne pas recevoir le respect qu’ils méritent. Ces perceptions révèlent un sentiment d’abandon et de déclassement, qui alimente la défiance envers l’autre, affaiblit l’empathie et fragilise l’idée même d’un destin unitaire.

 

Adieu la machine à café, bonjour l’open solitude

A cause du (ou grâce au ?) confinement, le télétravail s’est inscrit dans le paysage professionnel comme une norme durable. Une évolution qui touche à la manière même de penser son activité professionnelle et la mission générale.

L’essor du remote comme nouvelle norme

Avant 2020, seules 9 % des personnes en emploi pratiquaient le travail à distance de manière régulière. Quatre ans plus tard, cette proportion grimpe à 26 %, selon les données de la DARES. Cependant, ce chiffre masque une réalité plus radicale chez les jeunes diplômés : selon une enquête Hellowork de 2022, plus d’un candidat sur deux considère la politique de télétravail comme un critère déterminant dans le choix d’un poste.

Désormais, les critères de confort personnel (qualité de vie, absence de transport, autonomie, horaires choisis…) prennent le pas sur l’appartenance à un groupe.

télétravail covid 19

La disparition des rituels sociaux

C’est à la machine à café, en salle de pause ou dans le couloir que naissent souvent les idées et les complicités. Or, selon une étude Ifeel x IFOP (2023), 48 % des salariés en distanciel prolongé disent ressentir un isolement accru, ce qui affecte directement leur motivation et leur sentiment d’appartenance.

Une fonction, des tâches, puis rien

Actuellement, le virtuel redéfinit les frontières symboliques du travail. En effet, la journée ne commence plus au seuil de l’entreprise, mais au clic d’un logiciel ; la mission devient une suite de tâches à accomplir ; les rituels de groupe (réunions d’équipe, afterworks, moments de célébration…) sont rares ou absents.

Le salarié accomplit sa mission, livre ce qui est attendu, puis se déconnecte aussitôt, sans autre forme de lien. La dynamique de groupe, les valeurs d’entreprise, les ambitions partagées ? Reléguées à l’arrière-plan.

Par conséquent, l’implication des salariés européens atteint à peine 13 % en 2024, et 7 % seulement en France, plaçant l’Hexagone en queue de peloton européen selon le dernier rapport Gallup.

 

Une génération sous cloche : enfants rois ou adultes méfiants ?

Privés d’interactions physiques et enfermés dans un environnement hyperprotégé, les enfants élevés durant la période Covid montrent des signes de désocialisation durable. Moins exposés à la frustration et à l’altérité, ils peinent à intégrer les règles de la vie en groupe. Loin d’être anecdotique, ce phénomène interroge nos modèles éducatifs.

Moins d’empathie, plus de repli

Dès la reprise scolaire post-confinement, enseignants et psychologues ont observé un évitement accru du contact visuel, une diminution des gestes d’empathie spontanée et même une irritabilité élevée face aux contraintes sociales. Le rapport entre solitude prolongée et troubles socio-affectifs se confirme dans les chiffres : selon une étude publiée dans The Lancet Child & Adolescent Health en 2022, les enfants confinés plus de huit semaines présentaient un risque accru de difficultés émotionnelles.

Cette distanciation, intériorisée comme norme, compromet le développement de la tolérance à la frustration et de la capacité à coopérer.

Hyperprotection et stimulation cloisonnée

Pour compenser l’anxiété ambiante, de nombreux parents ont renforcé la bulle domestique : jeux éducatifs, écrans sous contrôle, activités dirigées, etc. Mais cette stimulation interne, si bien intentionnée soit-elle, a souvent exclu l’imprévu.

Résultat : une génération surprotégée mais peu préparée à l’inconfort relationnel.

En effet, selon l’Inserm et l’Ined, 13 % des enfants de 8 à 9 ans ont présenté des troubles socio-émotionnels pendant le confinement et 22 % ont souffert de troubles du sommeil. L’étude TEMPO, toujours menée par l’Inserm, montre même que 24,7 % des enfants manifestaient des signes d’hyperactivité et d’inattention. Bien que la souffrance psychique ne date pas de l’épisode viral mondial (12,5 % des enfants étaient déjà concernés en 2018), le confinement a amplifié des fragilités préexistantes.

 

enfants covid

Services publics, santé, métiers de contact : les perdants du quoi qu’il en coûte

Si la pandémie a protégé l’économie en injectant des milliards d’euros, elle a aussi cristallisé des fractures dans les services dits « de lien » : soins, restauration, artisanat, accueil…

Moins visibles que les hôpitaux sous tension, ces métiers ont subi une érosion qualitative plus insidieuse, souvent banalisée ou justifiée par la fatigue.

Le soin chronométré au détriment de l’écoute

Dans de nombreux cabinets médicaux, la cadence s’est accélérée au lendemain des vagues pandémiques. Les professionnels évoquent une accumulation de demandes, une pression administrative croissante et des difficultés à recruter des remplaçants.

En conséquence, l’échange clinique se réduit à l’essentiel, avec une durée moyenne des consultations qui chute à 10 ou 12 minutes. D’après le rapport d’activité 2022 du Conseil de l’Ordre des médecins, une large majorité de généralistes admettent avoir réduit ce temps d’échange pour tenir le rythme.

Peu à peu, la consultation se résume à une intervention rapide, où la prescription prend le dessus sur l’écoute et le dialogue.

Quand la qualité de service recule

Les mesures de soutien mises en place pendant le confinement ont permis de maintenir à flot de nombreux secteurs économiques. Cependant, dans certains domaines comme la restauration, le tourisme ou le commerce de proximité, ces aides ont parfois conduit à une baisse des standards de service.

Une étude de Lodging Interactive a révélé qu’entre avril et juin 2020, les avis négatifs d’hôtels ont augmenté de 10,2 %, principalement en raison de problèmes liés à la propreté, à la réduction des services et à la communication des mesures sanitaires.

Dans le secteur de la restauration, certains établissements ont été critiqués pour leur application stricte des protocoles sanitaires, comme l’exigence de porter un masque entre deux plats ou pour aller aux toilettes.

Dans le même temps, la dématérialisation à marche forcée des services publics a accentué la fracture d’accès aux droits. Un rapport du Défenseur des droits révèle que près de 80% des réclamations traitées chaque année concernent des difficultés d’accès aux services publics, liées pour beaucoup à l’exclusion numérique.

Effectivement, pour certains usagers, l’interface digitale devient un obstacle plus qu’un pont. Résultat: la confiance, déjà fragilisée, cède devant une logique automatisée, impersonnelle, parfois inaccessible.

 

Des signaux positifs : vers une quête de sens renouvelée

Au milieu du bruit numérique et des failles laissées par la crise, certains choisissent un autre cap. Ces élans visent moins à changer le monde qu’à habiter le réel avec plus de sens et de justesse.

Reconversions et ruptures choisies

Selon le Baromètre de la formation professionnelle, publié par Centre Inffo – CSA, 47 % des actifs interrogés ont envisagé ou entamé une reconversion depuis 2020. Ce mouvement traduit une rupture avec la logique de carrière linéaire. Voilà pourquoi de nombreux salariés quittent des postes stables pour s’orienter vers des métiers manuels, créatifs ou porteurs de sens, tels que l’artisanat, l’agriculture bio ou l’enseignement.

L’événement pandémique a agi comme révélateur : le salariat n’a plus le monopole de la sécurité.

Ainsi, des parcours hybrides émergent, qui mêlent autoentrepreneuriat, temps partiel choisi ou pluriactivité. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’une lubie générationnelle, mais d’un besoin sincère de retrouver du sens dans ce que l’on fait au quotidien.

Le quotidien revalorisé

D’après une enquête menée par Babel et BVA, un Français sur deux affirme avoir modifié ses habitudes de consommation depuis l’épreuve épidémiologique de 2020.

Cette évolution ne repose pas sur une contrainte temporaire, mais sur une remise en question plus profonde :

·         66% des sondés disent réfléchir davantage à la qualité de leur alimentation,

·         63% à la provenance de leurs achats,

·         64% à leur façon de vivre au quotidien.

Le modèle de consommation basique et local regagne du terrain.

 

habitudes alimentaires post covid

Le numérique comme outil d’émancipation

Souvent perçus comme facteur d’isolement, les outils connectés se sont révélés être de formidables leviers d’émancipation et de solidarité dès le premier confinement. Dans l’urgence, des initiatives citoyennes ont émergé pour compenser la rupture des contacts physiques.

L’une des plus emblématiques, 1 Lettre 1 Sourire, a permis à des inconnus d’envoyer des lettres manuscrites à des résidents d’Ehpad isolés, afin de recréer des ponts intergénérationnels.

Dans le domaine éducatif, la plateforme « Élèves solidaires », créée par Jules Simiand Brocherie, un lycéen de 17 ans, a offert un espace d’entraide entre élèves avec des fiches de révision et des sessions de soutien en ligne.

De leur côté, les musiciens privés de scène ont trouvé refuge sur RecitHall pour jouer devant un public à distance, dans des conditions interactives et rémunérées.

Dans le secteur médico-social, la plateforme Entraide a facilité l’échange entre professionnels de santé confrontés à des défis inédits. Conseils pratiques, entraide logistique, retour d’expériences: ce réseau en ligne improvisé a rapidement comblé un vide structurel.

Plus largement, de nombreux comités, freelances ou associations ont investi les outils collaboratifs comme Discord, Slack ou Notion pour favoriser les échanges à distance, lancer des projets open source ou structurer des coopératives virtuelles.

Des belles leçons à retenir de l’ère Covid !

 

Recréer un cadre d’ensemble : par où recommencer ?

Les repères sociaux ont bougé, parfois disparus. Pourtant, recréer des interactions sincères n’implique pas de renoncer aux acquis du numérique ou à la flexibilité.

Miser sur la transparence et la crédibilité

D’après le baromètre CEVIPOF 2025, seuls 26 % des Français leur accordent encore leur confiance. Un niveau inédit !

Ce recul ne concerne plus seulement le politique. Il traduit un malaise plus global, une attente de transparence et de sens dans toutes les structures qui organisent notre quotidien.

Dans ce climat d’incertitude, les entreprises sont aussi attendues au tournant. D’ailleurs, pour 64 % des consommateurs, les marques n’ont pas été à la hauteur pendant la crise. Ce qu’on exige d’elles aujourd’hui, c’est moins de communication et plus d’actions concrètes concernant le bien-être des salariés (89 %), le soutien à l’économie (81 %) et leur impact social et environnemental (75 %).

Et attention au greenwashing ou aux engagements flous : une marque qui affiche des valeurs sans les incarner perd l’adhésion de 72 % des sondés.

 

Réacculturer les enfants à l’altérité

Les signaux de renfermement observés depuis 2020, évoqués précédemment dans cet article, appellent une réponse concrète : celle de la confrontation bienveillante à la diversité.

Certaines initiatives vont déjà dans ce sens. Le projet KEEP (Key Engaging Educational Practices), coordonné depuis 2021 entre plusieurs pays européens, aide les enseignants à intégrer des pratiques pédagogiques coopératives. Au collège Clisthène de Bordeaux, le tutorat inter-âges valorise l’entraide entre élèves de niveaux variés, redonnant un rôle actif à chacun.

Quand un enfant découvre tôt d’autres façons de penser ou de vivre, il grandit avec moins de peur et plus d’ouverture. C’est ce rôle fondamental que l’école peut aujourd’hui assumer.

enfants ecole covid

Former à la nuance et au débat

La nuance ne s’improvise pas : elle s’apprend, dès le plus jeune âge. Des associations comme E-graine s’y attellent déjà en proposant des ateliers de citoyenneté active, dès le primaire, où les enfants s’exercent à écouter et débattre, sans s’effacer ni dominer. Ces expériences semées tôt peuvent transformer durablement le rapport à la contradiction.

Mais la nuance se cultive aussi à l’âge adulte. Certaines universités ou entreprises intègrent désormais des modules d’argumentation éthique, de médiation ou de gestion de conflit, pour renforcer la capacité à tenir un désaccord sans basculer dans l’anathème. C’est également le sens de nombreuses initiatives contre la désinformation : en France, l’AFP Factuel ou Les Petits Débrouillards, par exemple, mènent des actions d’éducation aux médias et à l’information auprès des jeunes, pour décoder les biais, repérer les manipulations et réapprendre à douter.

 

 

Ces bouleversements silencieux ont reconfiguré nos liens, nos priorités et notre rapport à l’autre. L’isolement, la lassitude et une certaine suspicion se sont durablement installés. Ce nouveau paysage appelle des réponses humaines afin de repenser nos façons de coexister. Alors, quel cadre voulons-nous redessiner pour vivre ensemble de façon bienveillante ?

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